DMS. Memoriae aeternae Clodiae qui vixit annos LXXXV

« Hanc omnis aetas amavit » toute sa génération l’a aimée.

 

Poème – Épitaphe

 

 

LUI

Elle était la douceur et lui la fermeté

Elle riait souvent lui le sourcil froncé

Corrigeait mes faux pas mes refus mes idées

De vivre solitaire sans vouloir travailler

De rester à rêver au milieu des prairies

Du beau Clos des Cigales au village d’Allauch

À écouter longtemps striduler les cricris

Observer les oiseaux

Écouter les appeaux

Suivre les papillons

Taquiner les bourdons

Et souvent allongé en lisière des vignes

Décrypter le ciel lourd et déchiffrer les signes

Que les nuages noirs voulaient bien dessiner

Comme pour m’informer de leur fugacité

 

Il voulut m’intégrer dans notre société

Faire honneur à son nom devenir sa fierté

Et il fallait choisir ou mouton ou berger

Aucune alternative si je voulais gagner

 

Cet homme n’avait pas vécu de vraie enfance

Il s’était engagé pour que vive la France

Si jeune à dix-sept ans

Si loin de ses parents

Il souffrit les horreurs de cette grande guerre

Pendu à un ballon pour croquer l’adversaire

Volant sur un biplan au-dessus des tranchées

Abattu par les tirs des lignes ennemies

Dans l’eau jusqu’au nombril et toujours affamé

Dans les brumes glacées de Verdun immolé

Finalement gazé il n’a jamais gémi

 

Pour vous j’ai guerroyé si je me suis battu

Baïonnette au fusil si j’en suis revenu

Le corps tout mutilé la peur en moi gravée

C’est pour que vous soyez des enfants de la paix

 

Ayant connu l’horreur des victoires amères

Ruminant sur son banc devenu solitaire

Il répétait souvent plus jamais ça jamais

Vous devez pardonner mais jamais oublier

Tous ces soldats sont morts pour votre liberté

Ils ont donné leur vie

Ils ont payé le prix

Mettez un peu d’amour dans cette humanité

Je veux vous voir vieillir sans avoir à tuer

 

Il était certes dur mais pourtant généreux

Il pouvait être tendre et pourtant coléreux

Il refusait de croire à une vie facile

Et il nous enseignait à n’être point servile

Parfois il consentait à conter son histoire

Et j’écoutais ravi avide de le croire

Je l’idéalisais j’en faisais mon idole

Et il était pour moi bien plus fort qu’un symbole

Pourtant j’étais rêveur imaginant des gloires

Et des exploits guerriers je clamais mes victoires

Mes triomphes à venir tel un empereur romain

Récoltant les lauriers saluant d’une main

Mais inlassablement me ramenant sur terre

M’indiquant mes devoirs avec un air sévère

 

Tu auras bien le temps de réclamer tes droits

Quand tu auras souffert pour la première fois

 

Las mes rêves d’enfant se sont évanouis

Ils se sont transformés et j’étais ébloui

Par un livre bien fait par des vers romantiques

Par le parfum des fleurs ou par cette musique

Des oiseaux ramageurs qui chantent leurs cantiques

Par la mare où vivaient des insectes aquatiques

Par nos chèvres aux yeux d’or et par mes bucoliques

La flûte de Tityre aux chants mélancoliques

Et il me regardait étrangement sceptique

Déclamer l’air absent le bateau de Rimbaud

La Jeanne de Peguy le Ruy Blas de Hugo

Il finit par comprendre que c’était grâce à lui

Qu’un enfant de la guerre aimait la poésie

Qu’il valait mieux souffrir en récitant sa peine

Que mourir en tranchée rongé par la gangrène

 

Travaille donc sois Toi fais de bonnes études

La paix à tout jamais a chassé les temps rudes

Prends le temps du savoir et je serais ravi

Si tu sortais vainqueur par l’arme de l’esprit

 

J’ai suivi ses conseils et puis je l’ai quitté

Tel un oiseau grandi qui s’envole du nid

J’ai trouvé mes passions dans l’Université

Ce temple du savoir et de l’humanité

C’était ma vocation telle une boulimie

Je lui ai consacré le reste de ma vie

J’ai donné sans compter

Parfois désespéré

Toujours régénéré

De trouver chaque fois au début de l’année

Un amphi bien rempli de jeunes aux yeux rivés

Sur celui qui pouvait peut-être leur donner

Un peu de vibrations qui les fassent rêver

 

Las

À peine parvenu dans cette Institution

Ayant ravi celui qui m’avait conseillé

Et qui avait pleuré pour comble d’émotion

Lorsque j’obtins ma thèse je vins pour l’embrasser

J’ai senti qu’un ressort venait de se briser

 

Tu sais je suis usé

Dit-il en aparté

Tu vois je veux partir sans avoir de regrets

Vous m’avez tous comblé vous êtes ma victoire

Je veux me retirer au sommet de ma gloire

Je ne suis parvenu qu’à vous aider un peu

Je suis très fatigué et je me sens trop vieux

La vie continuera et vous vivrez heureux

 

Incrédule et surpris je n’ai rien fait de mieux

Que de le plaisanter ne baisse pas les bras

Nous avons tous tu sais un grand besoin de toi

 

Un mois après ces mots à la fin d’un repas

Il eut une douleur un peu du côté droit

Je ne suis pas très bien je monte me coucher

Dit-il en s’éloignant d’un air contrarié

Il venait de parler pour la dernière fois

Je l’avais regardé monter les escaliers

Appuyé sur le bras de celle qu’il aimait

Mais à peine allongé il se toucha le coeur

Se recroquevilla comme un enfant a peur

Glacé par ce spectacle et tout désemparé

De voir ainsi partir l’un de mes géniteurs

Vers la mort invisible effaçant à jamais

Les formes et les sons les touchers les senteurs

J’ai voulu lui donner un peu de ma chaleur

L’enserrant doucement comme on berce un bébé

J’ai senti que sa vie peu à peu s’échappait

Et moi je restais là sa tête sur mon bras

En lui criant papa pars pas regarde-moi

Esquissant un sourire à peine illuminé

Il se figea soudain en me serrant la main

Ses yeux vitreux tournés vers un autre destin

Je suis resté ainsi sentant monter en moi

Un cri de révolté qu’on vient de poignarder

Une sueur glaciale venue de l’au-delà

Venait de me surprendre et me terrorisait

Je ne l’ai reposé que lorsqu’il fut bien froid

 

Hébété l’air hagard et le regard mouillé

Moi et lui immobiles les pères de mon père

Tous ces parcours de vie issus des cœurs stellaires

Tous ces parcours d’esprits finis recommencés

Pour quelle vanité quelle finalité

Et je me trouve là ce maillon de la chaîne

Un peu désabusé et maîtrisant ma peine

Les pieds touchant la terre et la tête embuée

Noyée dans le passé sans savoir que penser

 

Elle

Dans la lumière rose de mon espace clos

J’ai entendu claquer le cri honteux des bombes

Mais un battement doux me tenait en repos

Pour que ce lieu de paix ne devienne une tombe

Pour que ne sombre pas dans la mer ce bateau

Seul et dernier espoir vers les terres d’Afrique

Qu’elle a dû regarder d’un air mélancolique

Elle fut la douceur en souffrance native

Le tout premier berceau des pulsions primitives

Elle fut ce sourire que je pus imiter

Cette voix qui chantait pour bien me rassurer

Ce mouvement d’amour qui vint pour me bercer

Cette première main qui vint me caresser

Elle fut ce baiser qui vint me consoler

Elle fut ce regard qui me couvrit d’un voile

Ce feu si rassurant chauffant comme une étoile

Tendrement un beau jour elle me prit la main

Me maintenant debout me montra un chemin

Au début je le pris un peu en titubant

Trébuchant maladroit et souvent en pleurant

Je ne pouvais alors prévoir en ce temps-là

Que progressivement j’emboîterai son pas

Et que lâchant sa main au détour du chemin

Je la laisserai seule pour vivre mon destin

Muette et consentante ignorant son chagrin

Ma puissance de vie avait rompu le lien

Aujourd’hui je le sais elle souffrit beaucoup

Ne le montra jamais j’en suis devenu fou

Ma conscience eut du mal à se régénérer

Mais le mal que je fis m’a appris à aimer

Il n’est jamais trop tard et ailleurs je le sais

Elle sourit toujours et toujours attendrie

Ses larmes de bonheur énergisent ma vie

Pourtant j’ai le regret des mots que j’ai pas dits

Qui se bousculent en moi alors je les écris

Pour qu’ils restent entre nous tel un secret caché

Souvent quand je suis triste et démoralisé

Comme un enfant je pleure et murmure tout bas

Ces mots que j’ai pas dits pour qu’ils ne meurent pas

Seule et ses souvenirs dans la nuit de l’ennui

La vieillesse est venue comme une fausse amie

Elle s’est infiltrée doucement sans un cri

Comme une ombre collée au principe de vie

Elle s’est assoupie en perdant son esprit

Attachée sur un lit

 

Me voici arrivé presque au bout du chemin

Que je croyais très long et dépourvu de fin

J’ai vainement tenté de ne rien oublier

Les instants de bonheur qu’elle m’avait donnés

Ce visage serein qui diffusait l’amour

Mais qu’ai-je donc donné par moi-même en retour

En vivant si loin d’elle inaccessible et sourd

Il demeure des trous que j’aimerais combler

 

Maman caresse-moi comme au tout premier jour

Tu vois j’ai tout compris et je ne suis plus sourd

Calme les battements de mon coeur angoissé

Je quitterai mon corps pour aller t’embrasser

Pour reprendre ta main et ne plus la quitter

Et vivre à tout jamais notre immortalité

 

Moi

J’ai vécu une enfance protégée et sereine

J’ai cependant été quelqu’un de révolté

Crédule et passionné et ignorant la haine

Mais la pension m’a pris toutes mes vanités

Pères blancs et Maristes et beaucoup de Jésuites

Pour finir épuisé chez les Dominicains

J’ai souvent comploté pour préparer ma fuite

Mais il n’est pas facile d’échapper à leurs mains

Vaincre les soirs remplis de triste solitude

Pensionnaire à temps plein je passais mes études

À dévorer l’histoire des Grecs et des Romains

Je rêvais d’Alexandre et de ses guerres rudes

Il incarnait pour moi l’espoir du genre humain

La force et la beauté l’idéal politique

De fédérer les peuples d’apporter la culture

Je ne sus que plus tard qu’il était despotique

Mais pour moi ses idées restaient nobles et pures

Les murs de mes prisons me rendaient nostalgique

Je rêvais de chevaux aux naseaux dilatés

Qui parcouraient les steppes et que rien n’arrêtait

Ainsi

Je passais mes vacances toujours seul dans mon Clos

Au milieu des canards des poules et des cabris

Je courais la forêt et je poussais les cris

D’un Homo erectus qui vient de triompher

D’une proie abattue qu’il vient de dévorer

Repus je m’asseyais sans proférer un mot

Mais je ne pouvais pas retrouver le repos

Alors oui je rêvais à mes amours futures

À ces vierges antiques inaccessibles et pures

 

Mon rêve féminin avait des sources antiques

Des corps nus ondulant sous des voiles impudiques

Des danses aux rythmes lents devenant frénétiques

Des esclaves pleurant aux regards pathétiques

J’ai aimé Cléopâtre amante de César

Calypso la déesse aux coupes de nectar

La reine Zénobie qui régnait sur Palmyre

Circé l’enchanteresse aux breuvages magiques

L’insatiable amante qui aime au chant des lyres

L’amoureuse damnée aux pouvoirs sataniques

Et Didon la punique au destin de martyre

J’étais le seul héros le sauveur et l’amant

Le guerrier invincible ou le prince charmant

 

Tandis que j’explorais l’histoire à reculons

Dans un monde achevé dépourvu d’émotions

Je cultivais mon corps tel un athlète antique

Lançant le javelot comme le disque attique

Avec un mens sana in corpore sano

Le soir bien épuisé avant de m’endormir

Je murmurais des vers et d’impossibles mots

Des montagnes de roses où je voulais mourir

Après avoir vaincu pour celle que j’aimais

J’imaginais la femme avec qui je vivrais

Irréelle et fragile féminine et très douce

Au sourire enchanteur au rire délicat

S’allonger doucement sur un grand lit de mousse

Dire des mots d’amour et me tendre les bras

 

Elle

C’était je m’en souviens au printemps soixante-trois

Au cours d’une sortie par trop académique

Visitant sous la pluie un jardin botanique

Au milieu des ginkgos et des saules pleureurs

Je croisai sans le voir un visage enchanteur

Tout en herborisant la tendre véronique

Tout à coup le soleil éclaira devant moi

À nouveau ce désir que je n’attendais pas

Une vision bleutée qui me dévisageait

Si mince et si fragile en sa simple beauté

Ses yeux étaient rieurs et colorés de vert

Elle était élégante elle avait le teint clair

Ce fut le coup de foudre et je suis toujours fier

Qu’elle ait pu remarquer ce jeune homme timide

Un peu dégingandé et toujours impatient

De fuir toujours plus loin le présent qui se ride

Et de se préserver ses histoires d’enfant

 

Notre amour fut ardent passionné et heureux

Un peu insouciant mais nous vivions tous deux

Cachés dans notre Clos à l’abri des curieux

Dans un nid de verdure protégé par les Dieux

 

Et pendant tant d’années elle a construit ma vie

Prévenant mes folies aimant mes rêveries

Partageant mes angoisses et mes désillusions

Nos succès nos projets toutes nos ambitions

Souffrant en souriant le cri de notre enfant

Incomparable mère vivant tous les instants

Les soucis quotidiens pour le bonheur des siens

Ignorant la fatigue et les abattements

Elle fut celle aussi à qui l’on confie tout

Donnant son énergie à ceux qu’elle aimait tant

Jusqu’à ce que survienne sans prendre rendez-vous

La maladie sournoise invisiblement lâche

Celle qui vous dévore celle qui ne vous lâche

Qu’aux portes de la mort ou la résurrection

Pour vaincre il faut un cœur qui vibre de passion

Être plus fort que soi penser aux jours meilleurs

Annihiler ses peurs

Penser fort au bonheur

Être celle qui est pour que vivent les autres

Être celle qui est pour le bonheur des autres

En être convaincue et en sortir vainqueur

 

Nous étions jeunes et beaux et puis nous voilà vieux

Le corps se désagrège l’esprit ne vieillit pas

Elle a pris quelques rides et je ne les vois pas

J’en suis tout attendri et je m’étonne un peu

D’avoir vécu à deux un aussi long chemin

En luttant pour tracer notre propre destin

Sans nous quitter des yeux

 

Notre fils a grandi en toute liberté

Il était notre espoir il est notre fierté

Il a su cultiver l’honneur de la famille

Ses yeux bleus ont toujours une lueur qui brille

En parlant de projets toujours renouvelés

Qui nous rappellent un peu notre futur passé

Mais le temps s’accélère et réclame du neuf

Et les fils de mon fils sont sortis de leur œuf

Nous fûmes anéantis par leurs premiers sourires

Innocents attentifs et souvent étonnés

Ils babillent d’un air impossible à décrire

S’inscrivent dans le cercle et tout est recréé

L’un fut nommé Romain le second Alexandre

L’avenir est à eux à eux voir et comprendre

Elle

A su retrouver tous ses gestes d’antan

Tous ces gestes d’amour pour un petit enfant

Qu’une mère sort du cœur avec délicatesse

Et qui bien malgré moi me chargent de tristesse

Comment ne pas penser en les voyant s’aimer

À ce rythme infernal de naissances et de morts

À ce discontinu toujours renouvelé

Est-ce fatalité ou ironie du sort

Je deviens cependant de plus en plus cynique

La seule génétique est trop mathématique

Résolument hostile à la loi du hasard

Je ne puis accepter l’inné reprogrammé

L’inévitable mort et le ressuscité

Entre les deux c’est sûr il y a quelque part

Une âme ou bien un Kâ incréé indicible

Qui guette à chaque instant notre Univers sensible

Mais toi qui fus pour moi la compagne idéale

Qu’aurais-je fait sans toi courbé par les rafales

De notre société dépourvue d’humanisme

Souvent dégénérée par l’enfer des racismes

Parfois je sens sur moi l’épée du fatalisme

Je me serais assis sur le bord du chemin

Et tu serais venue pour me tendre la main

Sortie d’une lumière qui n’éblouit pas

Ne me quitte jamais oh ne me quitte pas

Il faudra bien pourtant qu’un jour vienne la fin

Que la rupture soit fixée par le destin

Nos cendres mélangées au pied du Biloba

Nourriront les racines du capteur luminique

Recevront nos messages issus de l’au-delà

Et nos âmes osmosées à jamais osiriques

A jamais embrassées ne se quitteront pas

Las

Le destin a frappé et sans aucun répit

Deux années de souffrances deux années d’agonie

De luttes sans espoir de prolonger la vie

Le cœur serré et vide et soudain emballé

Le souffle court et rauque et soudain arrêté

Elle me regardait ses yeux mouillés d’horreur

Recherchant mon sourire pour qu’il calme sa peur

Et moi je l’embrassai lui murmurant tout bas

Je t’aime tu le sais oh ne me quitte pas

Demain sera meilleur sois sûre oh mon amour

Je serai toujours là toujours là pour toujours

Écoute

Dans le silence de la nuit

J’entends ton cœur qui crie mon amour

J’entends ton cœur qui crie

Et le mien crie aussi mon amour

J’entends ton cœur qui souffre

Et le mien souffre aussi mon amie

Depuis longtemps tu sais on a vécu ainsi mon amour

Depuis longtemps tu sais on a vécu ainsi mon amie

 

Dans le silence de la nuit

Tu as pleuré mon amour

J’entends pleurer ton cœur

Et le mien pleure aussi mon amour

Comme un souffle de vie

Nous a toujours unis mon amie

Depuis longtemps tu sais on a vécu ainsi mon amour

Depuis longtemps tu sais on a vécu ainsi mon amie

 

Dans le silence de la nuit

J’entends ton cœur qui prie mon amour

J’entends ton cœur qui prie

Et le mien prie aussi mon amour

J’entends des mots qui tremblent

Et je murmure aussi mon amie

Depuis longtemps tu sais je t’aime aussi mon amour

Depuis longtemps tu sais je t’aime aussi mon amie

 

Dans le silence d’une nuit ou bien d’une aube mon amour

Nous marcherons tout droit et sans trembler mon amour

Bien au-delà du monde au-delà de la vie mon amie

Depuis longtemps tu sais on l’a voulu ainsi mon amour

Depuis longtemps tu sais on l’a voulu ainsi mon amie

Hélas

Après avoir lutté pour pouvoir respirer

Son cœur trop épuisé soudain s’est arrêté

J’ai hurlé de douleur et de vaine impuissance

Je la cherchai partout dans ma désespérance

J’ai voulu m’allonger près de son corps meurtri

La serrer contre moi l’accompagner aussi

Je n’étais plus qu’une ombre qui ère et qui maudit

L’Univers la matière la conscience et la vie

 

Moi

Je me retrouve là sur mon caillou brûlé

Avec pour héritage une énergie de vie

Qui se trouve acculée à bien trop d’interdits

Une conscience amère un peu désabusée

Ignorant tout de ceux qui avant moi vivaient

J’ai du mal à penser autrement qu’au passé

Je cherche de partout ma vraie identité

Je souffre d’être moi où sont mes références

Un esprit hésitant un cri ou un silence

Un ascète qui prie un soupçon de violence

Un amour trop parfait une désespérance

Les souvenirs très doux que j’ai de mon enfance

Une rencontre aimée un peu initiatique

Un impossible rêve une envolée mystique

Une bulle crevée de mes espaces clos

Un sourire attendri ou bien un simple mot

 

Comment puis-je savoir d’où je viens qui je suis

Suis-je au cœur de mon moi ou bien de l’infini

Ce monde me fait peur

Car il n’est que douleur

J’ai trop besoin d’amour

Pour vivre au jour le jour

Mon espace et mon temps

Ne m’appartiennent pas

Je les cherche pourtant

Et ne les trouve pas

 

Je suis chagrin tu sais de voir mon corps vieillir

Je ne crains pas la fin je veux savoir mourir

Mais ce porteur fidèle trop souvent négligé

Fut pour moi un ami que j’ai apprécié

Mais hélas il sera à jamais étranger

Je ne connais de lui que les fonctions vitales

Du cerveau reptilien que je trouve un peu sale

Il est heureusement enveloppé de peau

Il cache avec pudeur les entrailles et les os

Et son anatomie un peu dorso-ventrale

A trop avantagé la flèche du regard

Qui pour se retourner est là toujours trop tard

Et l’esprit fatigué abandonne le dos

Il est bien obligé de suivre comme il faut

 

Je suis je l’avoue bien un rien admiratif

De voir que ces milliards et milliards de cellules

Ces atomes crochus donnant des molécules

Arrivent à vivre ensemble toujours évolutifs

Travaillant sans relâche régulant l’énergie

Qui entretient ainsi le miracle de vie

 

Comment cette matière inerte d’Univers

Eut-elle le génie de cette biochimie

Qui aime ce qui gagne ignore ce qui perd

Comment cette matière ignorante et figée

Peut-elle tout d’un coup devenir animée

Sortir de l’entropie ignorer le chaos

Refouler le hasard et produire des mots

 

Et je me trouve là porteur de cet esprit

Qui me gêne souvent lorsque je suis meurtri

M’obligeant d’accepter toutes ces résurgences

Qui surgissent sans fin dans leur bal de démence

Un combat sans espoir contre les Érinies

Ces déesses infernales qui poussent à la folie

Qui pourraient me laisser parfois quelque répit

Me laisser m’endormir au creux chaud de l’oubli

Mais je me trouve hanté par des millions de vies

Par ce feu dévorant qu’on nomme la conscience

Dans l’âtre du cerveau des animaux qui pensent

 

Je me retrouve alors au bord d’un précipice

Un abîme sans fond que j’aime avec délice

Qui vient de l’au-delà peuplé de cris muets

Qui tentent vainement de me communiquer

Des états indicibles

Tout à fait inaudibles

 

Et je reste impuissant avec les bras croisés

Incapable et buté et presque inanimé

À quoi bon cet esprit si faible et si borné

Ignorant les desseins qui viennent du passé

Car c’est bien du passé qu’un beau jour il est né

Faut-il donc reculer pour bien savoir sauter

 

Un jour de la matière naquit une conscience

Explorant le cerveau qui lui servait d’espace

Elle créa des temps et ses propres distances

Un monde bien fini un royaume de myopes

Incapables de voir une âme sœur qui passe

Conçue dans un cercueil ou un vase canope

Un cosme inaccessible hermétiquement clos

Où la loi de l’esprit n’est qu’une loi de mots

 

Comment donc ainsi fait moi et ma solitude

Alors que je suis né en pleine servitude

Oublier mon espace annihiler mon temps

Occuper l’infini de ce vers quoi je tends

Sans l’aide d’aucun mot ou du raisonnement

Être celui qui est pour vivre immensément

La vie et l’espérance la souffrance et le deuil

Et l’impossible oubli de celle que j’aimai

Je suis seul ici-bas et mort à tout jamais

Jusqu’à l’instant sublime où je la rejoindrai

« Ubi TU Claudia, EGO Philippus

Où tu seras Claudia, Je serai Philippus »

 

 

Philippe Jean Coulomb

10 janvier 2025